Un petit village parmi les grands
Avec à peine 500 habitants, le village d’Ernen vient de recevoir le prix « Culture et Economie » du Valais. Son festival attire des musiciens du monde entier.
Vous avez certainement un ami qui aime raconter qu’il a pris le Hurtigruten (le Transsibérien) ou alors des connaissances qui ont « parcouru l’Asie du Sud-Est et Hongkong avec le Costa Rica au programme pour l’année prochaine ». On les imagine avec des mappemondes couvertes de petites épingles multicolores, impatients de cocher les prochaines étapes de leur tour du monde. On peut aussi choisir de voyager jusqu’au village d’Ernen. Il faut cependant un peu d’audace, car ce village ne se « fait » pas. A Ernen, on atterit.
Il suffit de quitter la route principale de la vallée de Conches entre Lax et Fiesch avec un virage sec en direction du sud. Trois kilomètres au milieu d’un paysage idyllique. Soudain, la chaussée se rétrécit, un dernier virage et on se retrouve au milieu de la place du village. De là, d’étroites ruelles conduisent aux diverses maisons de bois noir enchevêtrées qui composent Ernen. Des jardins campagnards soignés, un chat qui se prélasse au soleil, un endroit presque hors du monde, dégageant un sentiment de calme permanent qui donne l’impression d’être chez soi.
Cette expérience, le pianiste et pédagogue hongrois György Sebök l’a faite dans les années 1970, la première fois qu’il est arrivé à Ernen. Grand voyageur et éminent professeur possédant une chaire à Indiana (USA), charmé par l’atmosphère particulière du village, il décida d’y créer une académie d’été pour jeunes musiciens. Le pasteur ayant donné son accord, les pianos furent transportés de Genève jusque dans le Haut-Valais, le presbytère et la Tellenhaus de la place du village transformés en salles de répétition pour les 30 artistes présents. A la fin de leur séjour, les musiciens donnent des concerts d’adieu dans l’église baroque classée de St. Georg. « C’est ma façon de remercier le village d’Ernen » fut la raison qu’invoqua György Sebök pour ces premières représentations publiques dans le village. Mais aussi parce que la culture n’est pas la prérogative des grandes villes. Elle a sa place partout.
Personne n’imaginait alors que cette initiative allait donner naissance au festival Musikdorf Ernen. Un événement qui attire désormais chaque été des musiciens de renom international dans la vallée. György Sebök n’imaginait certainement pas non plus que le village d’Ernen le nommerait citoyen d’honneur en 1986, que le canton du Valais allait lui remettre son Prix culturel en 1995 et qu’une de ses anciennes élèves serait aujourd’hui responsable de la programmation des concerts baroques du festival. Le musicien hongrois formait le cœur et l’âme de l’académie de musique, le Festival der Zukunft né de celle-ci se développe par la suite pour devenir le festival de musique que l’on connaît aujourd’hui. Décédé en 1999, le pianiste a souhaité que ses cendres, ainsi que celles de son épouse Eva, disparue en 2010, soient dispersées dans leur patrie de cœur, le village de Mühlebach, près d’Ernen.
« Qui veut comprendre le festival Musikdorf Ernen doit comprendre György Sebök. » Nous suivons toujours la voie qu’il a tracée », affirme Francesco Walter. Il y a quelques années, il a lui aussi atterri à Ernen. Aujourd’hui directeur artistique du festival de musique et membre de l’association Musikdorf Ernen, il est également membre du Grand Conseil valaisan et président de la Commission culturelle du canton. C’est lui qui a donné au festival sa structure actuelle, associant dans un même événement concerts de musique baroque, de piano, d’orgue, de musique de chambre et de jazz. Il est aidé dans sa programmation par des musiciennes et des musiciens de ces différents domaines. L’une d’entre elle, Ada Pesch, fut autrefois élève de Sebök. Aujourd’hui premier violon de l’orchestre de l’Opernhaus de Zurich, elle considère aussi Ernen comme une seconde patrie. Pendant la saison des concerts, elle profite de son temps libre pour partir à la découverte de la vallée de Binn. C’est elle également qui a convaincu son amie Donna Leon d’offrir des séminaires littéraires à Ernen. Cette année encore, la romancière à succès dirigera, avec l’écrivaine canadienne Judith Flanders, plusieurs ateliers d’écriture. Donna Leon s’implique aussi dans l’organisation des concerts baroques, une de ses grandes passions. Elle contribue à donner une chance aux jeunes talents. Son influence permet d’attirer des stars internationales. « Une fois qu’on a connu Ernen, on y revient toujours. Cela vaut pour les musiciens comme pour les visiteurs. Il est rare de pouvoir apprécier un niveau musical si élevé dans une ambiance conviviale », explique Donna Leon.
Les musiciens viennent et reviennent à Ernen, même si les cachets sont modiques. Le public est fidèle. Comme le village n’a pas les infrastructures pour accueillir plus de 6000 spectateurs par saison, certains hôtes sont logés dans les hôtels alentour, avec un service de navette. Le financement est assuré en partie par des subventions et en partie grâce à la contribution des membres de l’association Musikdorf Ernen. « Notre budget reste cependant très limité », explique Francesco Walter.
C’est lui qui a décidé de donner chaque année une thématique au festival. En 2019, la saison répondra à la devise « tête-à-tête ». Un mot d’ordre qui rappelle l’histoire de la naissance du festival. C’est Eva, la femme de György Sebök, qui est venue la première à Ernen et qui a convaincu son mari d’y retourner avec elle.
Texte : Monique Ryser Publication: Mai 2019
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