Le fruit d’un été
Tout en haut des Alpes, le Raclette du Valais AOP naît après un long travail manuel. Pendant l’estivage des vaches, le lait cru est transformé en fromage. Visite à l’alpage de Mille, au-dessus du val de Bagnes.
Deux fois par jour, les boilles s’alignent devant la fromagerie de l’alpage de Mille. Elles contiennent le lait des quelque 250 vaches qui passent l’été ici. Le délicieux or blanc est encore tiède quand on le verse dans la cuve en cuivre. Christophe Prodanu allume alors le brûleur à gaz pour porter le lait à 32°C, avant d’y ajouter la présure. «Il faut du bon lait, un fromager qui connaît son métier et la bonne température», résume-t-il. Cela semble plus simple que ça ne l’est réellement. Ici, on élabore du Raclette du Valais AOP. L’alpage de Mille est une des 50 fromageries d’alpage et des 25 fromageries de plaine du canton qui le fabriquent selon la tradition et des règles strictes.
On ne produit du fromage sur l’alpage que depuis quelques années. Auparavant, pendant vingt ans, il fallait descendre le lait dans la vallée. Catherine et Pierre-Alain Michellod y sont métayers depuis sept ans. Ils possèdent bien une exploitation à Versegères, dans le val de Bagnes, «mais mon mari veut monter à l’alpage en été. Il y apprécie le calme et le travail avec les vaches. On ne peut pas l’empêcher de passer son été à l’alpage», assure Catherine, avant d’ajouter que c’est un travail dur, très dur, même pour elle. Elle doit s’assurer que Pierre-Alain, ses huit collaborateurs, le fromager Christophe et sa femme Carmen aient non seulement assez à manger mais aussi que les produits de leur travail arrivent dans la vallée chez les affineurs et dans les magasins. Ce qui signifie concrètement: aller et venir avec sa voiture, prendre les commandes, faire des achats, diriger l’exploitation de la vallée, garder la vue d’ensemble, sans cesse téléphoner, brasser beaucoup de paperasse. L’été dernier, la production a atteint 1800 fromages. Pour y arriver, il a fallu environ 85 tonnes de lait. L’essentiel a été transformé en fromage à raclette, le reste en tommes. Avec le petit-lait qui reste après avoir sorti le fromage, on fabrique du sérac vendu frais dans la vallée.
Exploiter un alpage est un sacré travail. Les journées sont longues. Pour le métayer Pierre-Alain Michellod, elles commencent vers 4 heures du matin. C’est l’heure à laquelle il se lève, prend son botte-cul et le seau de traite pour se rendre auprès de ses 40 vaches hérensardes sur la prairie clôturée. Il les trait à la main, «ainsi, elles donnent plus de lait». En plus de leurs propres vaches, les Michellod estivent encore des simmental que traient mécaniquement leurs collaborateurs avec une machine transportable. Après cette opération, il y a le petit-déjeuner, puis les vaches retournent librement sur la prairie ou sont emmenées si besoin encore plus haut sur l’alpage.
Entre la montée à l’alpage début juin et la désalpe en septembre, les vaches broutent sur quatre pâturages différents; c’est en août qu’elles vont le plus haut, ensuite elles redescendent par étapes. «Le lait se transforme en fonction des herbes et des graminées qu’elles mangent», explique Pierre-Alain Michellod. Ce qui modifie les notes de saveur du fromage. «Cela lui donne son identité», précise Catherine Michellod. L’herbe à l’altitude la plus élevée a moins de goût et de substances nutritives que bien plus bas; à cela s’ajoute le fait que la production de lait des vaches diminue au fil de l’été.
Pierre-Alain aime être près de ses bêtes, il veille à ce qu’elles aient assez à manger et entend grâce au son de leurs cloches si l’une d’elles s’est égarée. Il doit tout garder à l’œil, observer attentivement, car les vaches sont disséminées sur de vastes étendues. Pour le repas de midi, les vachers se retrouvent à la cabane et peuvent se reposer un court instant. Puis, le moment de la deuxième traite de la journée arrive rapidement. Selon le lieu de la prairie où paît le troupeau, il faut transporter seaux et machine à traire mécanique sur de longues distances. Il ne fait pas toujours beau, le temps change vite en montagne, le vent peut se montrer puissant et la pluie tempétueuse. «Moi, cela ne me dérange pas. Même quand nous avons parfois du brouillard, je trouve cela beau», commente Pierre-Alain.
Vers 5 heures du soir, Christophe Prodanu doit de nouveau allumer le brûleur à gaz et transformer d’une main de maître la deuxième livraison de lait du jour. Les Michellod ont rencontré ce fromager originaire du Jura français et l’ont engagé. «Un artisan exceptionnel», s’exclame Catherine. Et un voyageur: il passe parfois l’hiver à Chewton, en Australie, où il fabrique du fromage de chèvre bio dans une exploitation justement baptisée Holy Goats. Là-bas, on l’invite à donner des conférences pour raconter sa vie sur l’alpage. «J’ai besoin de la nature autour de moi, je ne pourrais jamais travailler dans un bureau, précise-t-il. Je me sens vraiment privilégié de pouvoir rester ici, en haut.» Christophe préfère le travail de production du fromage, et surtout l’affinage à la cave, là où sont entreposées les meules. «Elle est toujours un peu humide et possède ainsi le climat parfait pour la maturation.»
Sur chaque meule de Raclette du Valais AOP figure sa provenance, Bagnes, Gomser, Anniviers, etc. On peut ainsi toujours savoir d’où elle vient. Sur celles de l’alpage de Mille est gravé «Bagnes- Mille». Le Raclette du Valais AOP doit mûrir au minimum trois mois. L’année dernière, 1916 tonnes de ce fromage venant de toutes les fromageries rattachées à ce label sont arrivées sur le marché. L’organisation contrôle régulièrement les exploitations.
«Maintenant, les choses devraient devenir moins dures, car mon fils assure l’exploitation dans le val de Bagnes», dit Catherine. Leurs trois filles pourraient également donner un coup de main si nécessaire. Dès cet été, cela se passera sur un autre alpage : les Michellod pratiqueront l’estivage au col du Lein. Là aussi, ils produiront du Raclette du 4 Valais AOP, cette fois avec le sceau du Lein.
Texte : Monique Ryser Photos : Sedrik Nemeth
Publication : Juillet 2019
Sur les traces du vin.
Lire un autre récit