Les pros du tricot

Vous avez acheté un vêtement tricoté récemment ? Il est fort probable qu’il ait été fabriqué sur une machine de l’entreprise Steiger de Vionnaz.

Si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit vite que tous les textiles élastiques, du jean stretch au survêtement de sport, sont tricotés et non tissés. Les pulls en laine, les plaids moelleux ainsi que les chaussettes les plus fines sont évidemment tricotés. Par contre, lorsqu’il s’agit de tissus délicats, il est difficile de savoir s’ils sont tissés ou tricotés; la différence est presque invisible. Il est encore plus mystérieux de savoir qui tricote quoi. Peut-être une machine de l’entreprise Steiger, l’un des fabricants de machines à tricoter les plus réputés du monde.

 Dans les ateliers de Vionnaz, à côté de Monthey, dans le Bas-Valais, des machines à tricoter sont produites depuis 1963. Pierre-Yves Bonvin, le directeur de l’entreprise, relate l’installation de Steiger dans la région: «Le fondateur de l’entreprise, qui avait son domicile en France, voulait s’agrandir. La commune lui a fait une offre avantageuse, dans le but de gagner des places de travail pour le village.»

Les experts de l’entreprise ont toujours été des pionniers: en 1979, Steiger Participations SA développe la première machine à tricoter entièrement électronique au monde, baptisée, comme une évidence, Electra. En 1999, une nouvelle innovation mondiale, la Vesta Multi, première machine avec guide-fils motorisés. Une année plus tard, l’entreprise dépose le brevet d’une aiguille à coulisse révolutionnaire. En 2015, elle développe la première machine qui permet de tricoter des fibres de carbone ou de verre avec des formes en 3D.

Porte-fil dans l'une des machines à tricoter de Steiger Textil. Chaque épaisseur a besoin de ses propres aiguilles, Valais, Suisse
Porte-cames d’une machine à tricoter de l’entreprise Steiger. Chaque épaisseur de fil nécessite une aiguille spécifique.

Des réalisations qui ne disent pas grand-chose aux profanes, mais qui ont en revanche convaincu de grands créateurs, tels que Max Mara, Dior ou Hermès, de tricoter leurs tissus précieux sur des machines Steiger. «La haute couture constitue environ 25% de notre clientèle», explique Pierre-Yves Bonvin.

Bien que le secteur soit synonyme de prestige et connu du grand public, le développement du tricot à but médical représente une part de production encore plus importante de l’entreprise. Les concepteurs de machines à tricoter de Vionnaz sont des experts de la fabrication de combinaisons intégrales destinées au traitement des grands brûlés. Il a en effet été prouvé que la blessure guérit mieux si elle peut être rapidement et entièrement couverte. Dans ce domaine également, Steiger a fait preuve d’innovation grâce à ses informaticiens, «qui ont développé un logiciel permettant aux médecins de scanner les mensurations du patient. Les données sont transmises directement à la machine, qui peut rapidement tricoter une combinaison adaptée.» Ces applications médicales, qui comprennent également la fabrication de bandages de compression pour les genoux ou les coudes, représentent la plus grande partie de la production de Steiger.

L’avenir est aussi tourné vers le développement du tricotage de fibres de carbone et de fibres de verre. Cette technique permet par exemple de réaliser des casques ultralégers, dont la forme tricotée sera solidifiée par de la résine. Steiger développe aussi des projets destinés à l’aéronautique. Une forme de tricot durci offrirait au nez de l’avion beaucoup plus de légèreté avec tout autant de résistance. «Les constructeurs aéronautiques cherchent toujours des solutions pour gagner en légèreté. Nous sommes en train de tester un prototype», raconte Pierre-Yves Bonvin.

L’entreprise a déjà expérimenté l’utilisation du tricot dans la construction grâce à Mariana Popescu, une doctorante de l’EPFZ. Pour sa thèse, l’architecte a développé des algorithmes qui traduisent automatiquement une conception architecturale en une forme textile. Les machines industrielles peuvent tricoter la forme en quelques heures avec l’avantage d’avoir au final un produit léger et flexible. En collaboration avec ses collègues, elle a réussi à concevoir un système de câblage métallique permettant à la forme de rester en place tandis qu’elle est recouverte de béton. Pour finaliser son projet, elle a trouvé l’appui nécessaire chez Pierre-Yves Bonvin et ses collaborateurs. «Elle est venue chez nous pour apprendre le tricotage, nous l’avons soutenue avec nos connaissances et nos machines. C’était une expérience passionnante, pour elle comme pour nous», affirme le directeur de l’entreprise.

Depuis 2010, Steiger Participations SA appartient au groupe chinois Ningbo Cixing. Les deux entreprises collaboraient déjà avant le rachat. Aujourd’hui, Vionnaz fournit le marché européen et Ningbo Cixing, le marché asiatique. «Nous avons dû nous habituer à travailler ensemble», reconnaît Pierre-Yves Bonvin en souriant. Cette vente a d’abord suscité de la crainte chez les quelque 50 employés du site de Vionnaz. La peur que les Chinois ne souhaitent acquérir le savoir-faire de l’entreprise pour ensuite fermer le site.

«J’ai alors informé les propriétaires de l’entreprise que la meilleure option serait d’acheter les bâtiments de notre usine, dont nous étions jusqu’ici locataires, ce qui représentait un engagement à long terme. Et nous l’avons fait.» Aujourd’hui, cette situation se révèle bénéfique pour les deux entreprises. Pierre-Yves Bonvin se rend en moyenne quatre fois par année en Chine pour discuter avec le conseil d’administration. «Là-bas, ça ne fonctionne pas exactement comme en Suisse, explique-t-il dans un sourire. Ici, il faut arriver avec une présentation claire et être bref. En Chine, les discussions personnelles sont plus importantes, les chiffres seuls ne suffisent pas.»

Cette année, le chef du site de Vionnaz ne s’est pas encore rendu en Chine. La pandémie n’a pas seulement empêché les déplacements, elle a également causé de nombreuses annulations de commandes. «Nous sommes en chômage partiel, car nous ne pouvons livrer aucune machine pour le moment.» L’ambiance en a pris un sacré coup, reconnaît le directeur. Il a donc développé un projet novateur pour l’usine de machines à tricoter: se lancer dans la production de masques de protection textiles. Il se charge de fournir les matériaux de base et ses équipes les assemblent sur leurs propres machines à tricoter. «Ce n’est absolument pas notre domaine d’activité, nous sommes des constructeurs de machines. Nous nous sommes réinventés et cela a créé un véritable élan de motivation dans l’entreprise. Nous produisons maintenant avec fierté des masques de protection textiles. Et nos masques 3D sont même certifiés.»

Texte : Monique Ryser
Photos : Sedrik Nemeth

Publication: Février 2021

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